vendredi 27 juin 2008

Interview avec Ahmed Aydoun

Entretien avec Ahmed Aydoun

"Il ne faut pas coller le satanisme sur le dos du rock"


En plus d'avoir présidé le jury de Génération Mawazine depuis ses débuts, Ahmed Aydoun est un compositeur et musicologue de renommée internationale. Lors de cet entretien, il donne son avis sur le rock, musique de prédilection d'une bonne partie de la jeunesse marocaine afin de dissiper plusieurs incompréhensions et stéréotypes qui tournent autour de ce mouvement.

Libé : Qu'est-ce que le rock pour vous?

Ahmed Aydoun : Le rock c'est tout un monde, il a changé de physionomie et est passé par plusieurs phases. Ce qu'on appelait rock dans les années cinquante n'est pas le même que celui des années soixante, soixante-dix ou maintenant. Surtout que le mot «rock» a foisonné et donné de multiples styles. Ce qui est sûr, c'est sa naissance aux Etats-Unis dans les années cinquante sous la forme de récupération de styles plus anciens, notamment le country, quelques aspects du jazz, la chanson de variétés en vogue dans les années quarante.
Le rock était porté vers la jeunesse par le rythme, par la façon de jouer avec certains instruments. Généralement le rythme est carré, à quatre temps. On se rappelle les grands artistes de l'époque comme Fats Domino et Jerry Lewis, avant que le «bussines show» ne récupère l'icône de cette forme d'expression musicale, Elvis Presley. Le rock and roll a été popularisé par sa pensée. Les gens qui le dansaient étaient appréciés et bien vus et animaient des soirées.

Libé : Est-il correct de dire que le rock est la pierre angulaire de l'essor des genres de musique Métal?

Ahmed Aydoun : Un premier passage à vide s'est opéré avec l'arrivée de la pop music, genre Beatles. Curieusement, les Rolling Stones, leurs rivaux de l'époque, étaient taxés de «rock revival», le nouveau rock. De là leur style côtoyait d'autres genres comme le blues funky de James Brown et autres musiques progressives, de là à absorber d'autres styles et muter, vers la fin des années soixante-dix, en hard rock basé sur la virtuosité du guitariste. Le mouvement est devenu plus entreprenant en matière d'innovation et de décibels. La variante du rock essentiel, plus choquante et stimulante, a pris l'appellation de «metal rock».

Libé : Qu'en est-il actuellement?

Ahmed Aydoun : Alors que le rap/hip-hop penche vers la musique préenregistrée accordant du crédit aux paroles, le rock est resté essentiellement instrumental avec des paroles simples, on lui reproche de ne pas aborder des sujets sérieux comme la politique. Mais n'oublions pas que le texte est là plus pour accompagner la musique, davantage pour lui donner une sonorité qu'une explication. Là on reste dans le général, car il est difficile d'entamer les détails, discuter style par style. Chaque style a sa composante musicale, sa composante lyrique et compositionnelle.
La manière dont on travaille les solos de guitare, la rythmique, préférer une grosse caisse à une double grosse caisse, jouer sur pédales, etc. rentre dans la case «composante musicale». Des genres ont dérivé de ces pratiques, et c'est ainsi qu'on s'est retrouvé par la suite devant un foisonnement incroyable de styles qui se réclament rock, mais sont en réalité autre chose.

Libé : Comment ça?

Ahmed Aydoun : La tendance générale fait que les styles sont tellement nombreux, que le journaliste, et non le critique, a tendance à les nommer aléatoirement et d'une façon peu scientifique. Commercialement ça passe. Si le rock a changé, le rocker est resté le même. C'est le musicien ou chanteur qui va au-devant de la scène, harangue la foule, ne se prive de rien pour attirer l'attention. Peu importe que sa voix soit gutturale, forte ou fluette, l'essentiel reste de se mettre en valeur en tant que star.

Libé : Comment les Marocains ont-ils reçu le mouvement?

Ahmed Aydoun : Le rock a fait son entrée au Maroc à partir des années soixante. Les groupes d'alors ne se formaient que dans des occasions spéciales. Les jeunes se regroupaient soit pour animer des soirées entres copains, soit pour se préparer aux soirées de fin d'année, et c'est la fin du groupe. Actuellement, c'est vers 2001 et 2002 qu'on a commencé à parler de «nouvelle scène».
Des formations marocaines ont vu le jour depuis, certes en petit nombre par rapport au autres notamment de hip-hop pour la simple raison que le matériel est coûteux, les guitares électriques de qualité sont très chères et ne sont même pas disponibles sur le marché, les batteries aussi.Ca va même plus loin. Car même si on assure les instruments, où va-t-on répéter? Dans d'autres pays il y a des hangars, des parties réservées par les municipalités pour les jeunes, où même les instruments sont à leur disposition. Si on ne fournit pas des espaces semblables au Maroc, le rock ne se développera et restera au stade embryonnaire.

Libé : Mais nos musiciens, ont-ils réellement un potentiel?

Ahmed Aydoun : Je vais vous dire une chose. Nous avons des batteurs de qualité. Musicalement, ce que je reproche aux groupes marocains est le manque de bons guitaristes qui peuvent non seulement reproduire mais ausscréer. La créativité ne tombe pas du ciel, c'est des heures et des jours, des années mêmes d'entraînement, avec bien sûr le matériel adéquat. C'est comme ça que l'on peut progresser.

Libé : Entre rock, métal et satanisme, la confusion règne. D'où vient ce malentendu?

Ahmed Aydoun : Il se peut que sur les multiples tendances du rock, qu'il y ait quelques-unes qui soient outrageantes. On a vu que le rock et le métal, parents, ont parfois, des messages qui cherchent à choquer. On sait comment les premiers rockers étaient contre le pouvoir établi, contre l'église et ils essayaient de mettre en valeur ce message. Quand on déclare qu'on est contre l'église en Europe ou en Amérique, le message à passer est son antithèse, l'anté-christ, le Diable Au lieu de la douceur, la charité, et les autres valeurs, on met la violence en valeur sur scène, un message contre un état de fait lié à un espace et à un temps précis. Prenons l'exemple de la déformation d'un symbole, comme une croix renversée. Cette forme de contestation prévaut dans les sociétés européennes.
A transposer cet exemple dans une autre société, on reprend le signe sans la charge de contestation, question de frimer, de se distinguer, en dehors du contexte initial sans chercher dans les détails. Satanisme, pas tellement. Le satanisme s'est développé dans certains pays arabe notamment en Egypte où des groupes ont été pris en flagrant délit.
Ici, peut-être qu'il y a des satanistes, mais de là à coller ça au rock, non. Comme je l'ai dis, le rock est une palette de styles à une échelle croissante du plus soft au plus hard. Evitons de condamner un mouvement entier pour un écart bien isolé.

Propos recueillis par Iliasse El Mesnaoui - Libération du 27 Mai 2008

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